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¡Chao Guy !

vendredi 20 décembre 2019, par Eduardo Olivares Palma

Nous apprenons avec tristesse le départ de Guy Mansuy. Proche, pour dire le moins, du Chili et des Chiliens avec lesquels et s’était lié d’amour, d’amitié et de solidarité. Même si, de prime abord, il n’avait pas toujours l’air facile. Il a été toujours disponible pour aider, pour participer.

Entre autres, le 5 octobre 1988, quand nous l’avions invité à la fameuse "Nuit du Plébiscite" chilien sur Radio Latina. Une semaine plus tard il avait raconté et commenté cette nuit historique dans le texte que nous publions ci-dessous.

Guy Mansuy entre les journalistes de l’Événement du Jeudi, Jean-François Kahn et Jean-Marcel Bouguereau.

Chili : La victoire du NON

"La allegria ya viene" "La allegria ya Ilego"

Paris "Radio Latina" 5 octobre 23h30 Eduardo Olivares dans le studio d’enregistrement nous fait taire : Le Chili à l’antenne" "Coopérativa" ou "la Chilena" annonce : "Un sondage à la sortie des urnes de la SOFRES - l’Evénement du Jeudi - Institut chilien Diagnos donne 60% pour le Non". Tout le monde ici - 85% de Chiliens - était tellement convaincu de la victoire que cette annonce ne provoque pas une clameur de joie et puis ce n’est qu’un sondage. Malgré tout, les sourires de soulagement sont sur tous les visages derrière la vitre du studio. Autour d’Eduardo - journaliste chilien animateur de cette nuit du plébiscite - les échanges à l’antenne reprennent, mais sur un autre thème -l’après plébiscite gagné ; J.F. Kahn et J.M. Bouguereau de l’Evénement du Jeudi, un journaliste de RFI, le secrétaire général du MRG et moi, expriment leur opinion plus ou moins prudemment. Que va faire Pinochet ? Du Chili, de temps en temps, arrivent les premiers résultats partiels du dépouillement : le décompte parallèle du "Commando por el No" donnant une avance de 10% pour le Non, ceux officiels du Ministère de l’Intérieur inversés ; le temps s’écoulant le ministère de l’intérieur fait de moins en moins entendre sa voix puis devient complètement muet. 2h30 du matin, les résultats de plus en plus nombreux annoncés par le "Commando" confirment la victoire du Non, 53%. Les dirigeants du "Commando por el No" se succèdent en déclaration, ceux du régime restent coi. Pas de doute c’est gagné. La participation dépasse 90%, les blancs et nuls sont faibles, le rapport No et Si donne 57% No, 43% Si.

Dans les manifestations d’avant le 5, les partisans du No criaient "La allegria ya viene" - la joie vient - après le 5, "la allegria ya Ilego" - la joie est arrivé".

Hypothèses sur le futur politique à court et à moyen terme

Pour la classe politique chilienne la victoire du Non est la défaite avant tout de Pinochet ; cette opinion est partagée aussi bien par les partis de droite ayant fait campagne pour le Si que ceux de l’opposition. Toute la campagne du Si a été axée sur la personne de Pinochet et Pinochet lui-même à la télévision a dit que l’enjeu du plébiscite était le choix entre lui et Ricardo Lagos qu’il avait pris pour cible. Aussi dès le lendemain du plébiscite Pinochet passait au second plan, à tel point que des politiciens de droite comme Jaime Guzman, idéologue du régime, Onofre Jarpa et Andrès Allamont, dirigeants du parti Renovacion Nacional, s’adressant "aux secteurs démocratiques de l’opposition", disaient ne pas être opposés à une réforme éventuelle de la constitution pour aller plus vite vers le choix d’un nouveau président. Dans une déclaration la conférence épiscopale de l’Eglise chilienne, appelle elle aussi à "une modification de certains articles de la Constitution". Quant aux autres membres de la Junte, il est de notoriété publique qu’ils ne sont pas de fervents soutiens à la personne de Pinochet.

Pour toutes ces raisons, au Chili, nombre d’acteurs et d’observateurs de la vie politique chilienne pensent qu’il y a peu de chances que Pinochet termine le mandat que la Constitution de 1980 lui accorde et qui doit se terminer le 11 mars 1990.

Un dernier argument avancé est qu’il n’est pas dans la tradition de l’armée chilienne qu’un chef des armées reste en place après une défaite ; mais avec Pinochet... et le poids de la présence des militaires dans la haute-administration de l’Etat et dans les organismes paraétatiques - TV, université.....

Sur un autre plan, celui de la politique économique et sociale, le temps des envolées sur le socialisme révolutionnaire n’a plus cours. La politique économique du Chili n’a pas été un sujet de la campagne plébiscitaire et ne serait pas remise en cause fondamentalement par l’équipe alternative au pouvoir actuel quelle soit centre-gauche avec la DC comme noyau ou gauche modérée avec le PPD. Cette équipe voudra protéger les investissements et mènera une politique sociale basée sur des réformes démocratisant l’enseignement et la santé, sur une amélioration de la protection sociale et sur une meilleure répartition du revenu national.

Pas plus qu’en Argentine, les responsables de la répression seront peu touchés, l’énorme majorité du peuple chilien ne voulant plus de violence.

Aussi je pense, que comme les autres pays latino-américains qui se sont séparés de leur dictature, les Chiliens voteront pour une majorité DC et/ou social-démocrate. Ricardo Lagos semblerait actuellement le mieux placé des hommes politiques chiliens pour mener cette politique et ce pour de multiples raisons :

 sa fermeté face à Pinochet.

 le fait qu’il a été sa cible principale.

 le ralliement à sa personne, semble t-il, d’Almeyda (actuellement en prison à Santiago), populaire, chef de la tendance du PS considérée la plus à gauche.

 le manque de personnalité relativement jeune et dynamique dans les rangs de la DC.

 il n’est pas considéré comme un idéologue.

Comme on peut le constater le socialisme autogestionnaire au Chili n’est pas encore pour demain.., à moins que je ne me sois trompé dans mon analyse de la situation, ce dont je me consolerais facilement.

Guy Mansuy

Paris le 13 octobre 1988.