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Au Mexique, miné par la violence, les artistes s'appuient sur de riches collectionneurs

Les artistes mexicains sont, comme leurs aînés, les Rivera, les Orozco, soucieux de politique.

Par Harry Bellet

Publié le 08 novembre 2008 à 14h27, modifié le 08 novembre 2008 à 14h27

Temps de Lecture 3 min.

Chaque jour, à Mexico, dans la petite pièce qui lui sert d'atelier, Ilan Libeman se penche sur une énorme loupe et recopie au crayon, sur un mode hyperréaliste, les portraits d'enfants disparus publiés en vignettes par la presse mexicaine. Pendant cinq mois, la photographe Maya Goded a témoigné des assassinats de femmes à Ciudad Juarez, une ville-frontière, où l'Etat a laissé place aux gangs. A Puebla, au Musée Amparo, Bethsabé Romero montre des sculptures qui font allusion à la "barrière", le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis.

Mais là où les anciens s'exprimaient dans des formats monumentaux qui exaltaient les valeurs soutenues par le régime, les jeunes sont beaucoup plus critiques. La Maison rouge, à Paris, en présente une sélection jusqu'au 18 janvier 2009.

Né en 1959, en Belgique, mais installé dans le pays depuis près de trente ans, l'artiste Francis Alÿs avance une explication : "Il y a deux dates importantes dans l'histoire du Mexique : le tremblement de terre de 1985, et l'assassinat du candidat à la présidence Luis Donaldo Colosio en 1994. Devant l'inefficacité des autorités dans les deux cas, les gens ont perdu confiance en l'Etat, et ont appris à se débrouiller sans lui." A leur façon, les artistes évoquent la guerre entre les cartels de la drogue, la violence qui mine le Mexique aujourd'hui, avec son lot quotidien de corps décapités.

Cette démission du pouvoir serait-elle une des raisons de la vitalité de la scène artistique mexicaine ? Délaissés, les artistes se sont regroupés, et ont multiplié les expositions à Mexico : "Une proposition" (1989) ou "Le Salon des Aztèques" (1989-1990) voient émerger les figures de Gabriel Orozco (né en 1962) et de Francis Alÿs. Le café ouvert par l'artiste britannique Melanie Smith, née en 1965, dans son appartement leur sert de lieu de rencontre et de débats.

D'autres initiatives, comme le groupe Temistocles 44, et La Panaderia, fondée en 1994, et active jusqu'en 2002, dans une ancienne boulangerie par Miguel Calderon, l'auteur d'une vidéo d'un match de football hilarant où le Mexique écrase le Brésil 17 à 0, permettent à une nouvelle génération d'apparaître : ils sont nés dans les années 1970 et ont pour nom Carlos Amorales, Minerva Cuevas ou Fernando Ortega.

MARCHANDS DE POISSON

Ces structures associatives sont peu à peu relayées par des galeries. Encouragés par Gabriel Orozco, Monica Manzutto et José Kuri, le frère de l'artiste Gabriel Kuri, ouvrent en 1999 Kurimanzutto, avec une exposition intitulée "L'Economie de marché", pour la bonne raison qu'elle se tenait au marché de Medellin, un des plus importants de Mexico.

Au milieu des étals de fruits et légumes, ou des marchands de poisson, les jeunes gens montraient des oeuvres d'art, aux prix alignés sur ceux des denrées de leurs voisins. Longtemps, la galerie sera sans domicile fixe, exposant chez des confrères,

comme Chantal Crousel à Paris en 2000 ou dans des lieux provisoires. Un activisme reconnu par les artistes eux-mêmes : en 2008, Kurimanzutto figure en vingtième position sur la liste des cent meilleures galeries du monde dans un classement de la revue Flash Art établi par des plasticiens.

Mais cette vitalité serait vaine sans l'apparition de grands collectionneurs. Parmi eux, Isabel et Agustin Coppel. C'est justement une sélection des oeuvres qu'ils ont rassemblées qui est montrée à la Maison rouge. Leur fortune, issue de la grande distribution et d'une société de crédit, leur a permis de constituer un ensemble qui mêle des artistes contemporains internationaux et mexicains.

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Des passionnés, comme le sont aussi, à Guadalajara, Aurelio Lopez-Rocha, qui vit entouré de ses oeuvres, certaines parfois très radicales, ou Patrick Charpenel qui, s'il est discret sur sa collection, fait volontiers visiter celle des autres, avec la compétence du commissaire d'exposition qu'il est devenu. Avec l'appui de la fondation Televisa, ils font vivre OPA, un centre d'art remarquable.

Mais au Mexique, le collectionneur le plus connu est Eugenio Lopez, héritier d'un empire de jus de fruits, Jumex. Il a créé une fondation qui non seulement possède près de 1 800 oeuvres, exposées dans les locaux de l'usine en attendant la construction d'un bâtiment au centre de Mexico, mais surtout aide au financement de projets extérieurs.

Partout fleurissent ainsi les projets de centres d'art. Il en est qui disparaissent aussi. A Guadalajara, le centre Planta était des plus actifs, avant que son mécène ne change d'épouse : la nouvelle n'appréciant pas les goûts de la précédente, le lieu fut fermé. Ce sont les limites de l'initiative privée.


Collection Agustin et Isabel Coppel, "Mexico : Expected/Unexpected",

Maison rouge, 10, bd de la Bastille, Paris-12e. M° Quai de la Rapée. Du mercredi au dimanche de 11 heures à 19 heures, le jeudi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 18 janvier 2009. Tél. : 01-40-01-08-81.

De 4,50 € à 6,50 €.

www.lamaisonrouge.org

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