French national Florence Cassez talks with her lawyer in prison 13 June, 2006 in Mexico City. Cassez, charged with kidnapping and illegal possession of two weapons, has been kept jailed for six months and will remain so until receiving the court's veredict, early 2007. AFP PHOTO/Alfredo ESTRELLA

French national Florence Cassez talks with her lawyer in prison 13 June, 2006 in Mexico City. Cassez, charged with kidnapping and illegal possession of two weapons, has been kept jailed for six months and will remain so until receiving the court's veredict, early 2007. AFP PHOTO/Alfredo ESTRELLA

L'Express

Depuis 2005, Florence Cassez clame son innocence: non, cette jeune Française ne savait rien des rapts pour lesquels la justice mexicaine l'a condamnée à quatre-vingt-seize ans de détention. Elle a reçu L'Express dans sa prison, tandis qu'ici ses parents se battent pour sa libération.

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Elle traverse le terrain de basket rongé par les herbes folles. S'assoit sur un banc qui grince sous son poids de sauterelle. Le soleil chauffe sa peau très pâle. Florence Cassez ouvre un paquet de gâteaux: "Vite, ça va fondre!" dit-elle, sans que l'on sache si elle parle des cookies ou de ses bras parsemés de taches de rousseur. Décidément, ça cogne trop. Florence rejoint le réfectoire où les familles déballent leur repas. Un air de salsa s'échappe de la radio. "Felicidades Samadhi!" proclame une banderole tendue sous des ballons. Joyeux anniversaire Samadhi! "C'est la fille en rose là-bas", précise Florence. Le rose: l'uniforme des visiteurs du dimanche. Interdiction absolue de porter du blanc, du noir ou du beige, réservés au personnel. Florence, elle, déambule en tee-shirt et jean taille basse. En bleu. La couleur des détenues de Tepepan.

Ici, à une bonne heure de route du centre de Mexico, près de 150 femmes purgent leur peine pour des vols, du trafic de cocaïne ou des crimes. Avant de pénétrer dans le réfectoire, il a fallu franchir le box aux murs écaillés où une gardienne palpe l'interdit: le téléphone portable et les liasses de pesos. Puis tendre son poignet à une autre qui l'a tamponné d'un poinçon. Faire claquer une serrure, une deuxième. Longer le couloir poussiéreux et attendre la francesa, comme on la surnomme à Tepepan. Elle est là, devant nous, cette belle rousse de 34 ans qui a fait la Une des tabloïds mexicains. Sauf qu'elle n'est plus rousse mais brune, avec de fines lèvres surlignées de rouge qui esquissent un sourire.

"Les lacunes de l'enquête sont édifiantes"

Florence Cassez vit au dortoir n°1, le plus éloigné des junkies du n°4. Des fleurs décorent les murs de sa cellule, une chambre individuelle sans verrou. "Je dors peu, raconte-t-elle, il y a du bruit, de la lumière et parfois, des rrrats". Oui, des "rrrats". La fille du Pas-de-Calais roule les "r". Ses trois ans de détention ont dilué son accent ch'ti. La Française ne dit plus "le désespoir" mais "la desesperacion", et finit ses phrases comme les gens d'ici: "Je ne demande pas la lune, juste qu'on réexamine mon dossier. J'ai le droit à la vérité, no?"

Dans le réfectoire, Florence a réservé une table près de la fenêtre: "Le dimanche, il y a du monde." Pas souvent pour elle. Les jours sans visite, elle lit. En ce moment, le dernier roman de Frédéric Beigbeder. Longtemps, elle n'a parcouru qu'une histoire, la sienne: 18 tomes en espagnol, 10 000 pages d'un mauvais polar. "Je le refermais exténuée, confie-t-elle, comme si j'avais gravi le Mont Blanc." Ce dossier ne parle que d'elle et de lui, Israel Vallarta, son beau macho de 39 ans. De leur bande aussi, le Zodiaque. Et de leur spécialité supposée: le kidnapping.

Le 8 décembre 2005, le duo a été arrêté par les policiers sur les hauteurs de Mexico. Le 25 avril 2008, Florence Cassez a été condamnée à quatre-vingt-seize ans de prison. Presque trois fois son âge. La justice mexicaine l'a jugée coupable d'enlèvements, d'association de malfaiteurs et de possession d'armes. Son ex-compagnon, qui n'a toujours pas été jugé, a reconnu les faits. Elle les nie en bloc. "C'est ma force et ma faiblesse, cette innocence, je peux regarder n'importe qui dans les yeux, poursuit-elle en allumant une Marlboro. Le matin, je me réveille et je me dis: 'Oui, putain, je suis là. Trois ans que je suis là. Trois ans de perdus.' C'est trop long pour réparer une erreur judiciaire!"

Son nouvel avocat, le pénaliste lillois Frank Berton, l'homme qui a sorti de l'enfer deux des accusés d'Outreau, a repris l'affaire à zéro. "Les lacunes de l'enquête sont édifiantes", s'insurge-t-il. Début décembre, il devrait se rendre au Mexique avec les signatures de soutien d'une centaine de députés, dont Thierry Lazaro (UMP), un proche de Nicolas Sarkozy. Le président de la République a déjà reçu les parents de la jeune femme, Charlotte et Bernard Cassez, et doit effectuer un voyage officiel à Mexico en mars prochain. "L'Elysée suit de près le dossier, confie une source diplomatique. Il s'agit non pas de faire pression sur le juge, mais plutôt d'insister sur les zones d'ombre de l'accusation."

La décision en appel est attendue d'ici à trois mois, mais nul ne se risque au pronostic dans ce pays où le rapt relève du sport national. D'autant que se greffe à ce fait divers un personnage important au Mexique: Garcia Luna, le chef de l'enquête, propulsé peu après cette affaire au rang de secrétaire d'Etat à la Sécurité publique. "A l'époque, la police était très critiquée, il lui fallait redorer son blason, souligne le journaliste Francisco Resendiz, qui a suivi l'arrestation pour El Universal, l'un des plus grands quotidiens du pays. Une belle Européenne, éduquée, intelligente, qui se voue au crime le plus terrible? On n'avait jamais vu ça! Florence Cassez était la prise idéale."

"Je ne savais rien, sinon je l'aurais dénoncé!"

L'histoire commence en mars 2003, sur un coup de tête: Florence vient de quitter son poste chez Eurodif, une chaîne de magasins de vêtements. La jeune commerciale l'a toujours dit: son boulot compte plus que ses fiancés. A 28 ans, elle dirige la boutique de Calais. "Je me défonçais, je travaillais tellement que j'ai franchi les échelons de vendeuse à directrice." Mais une promotion lui passe sous le nez. Alors, elle plaque tout. Son frère Sébastien lui propose de le rejoindre à Mexico, où il a créé une entreprise d'équipement médical. Sa cadette apprendra l'espagnol, elle qui rêve à d'autres horizons que les baraques à frites de la Côte d'Opale. "Ma soeur est une perfectionniste dotée d'un sens du contact, confie-t-il. Quand elle fait confiance, c'est à 100%. Florence voulait du piquant, elle était à des années-lumière de savoir comment cela fonctionne ici."

Mexico City, grouillante mégalopole de 21 millions d'habitants où les histoires de narcos (trafiquants de drogue) et de police vérolée passent en boucle à la télé. Sauf que Florence Cassez ne regarde jamais les infos. Elevée dans l'univers ouaté des ateliers de confection dirigés par son père du côté de Béthune, elle cultive plutôt sa bulle d'insouciance: les "fouffes" (les fringues), les coiffures et les flirts.

Au Mexique, l'expatriée travaille d'abord chez son frère, puis dans un cabinet d'architecte. C'est à cette époque qu'un client de Sébastien la courtise: Israel Vallarta, un brun musclé. Les latinos l'ont toujours attirée: "J'étais seule, je me suis dit: pourquoi pas." Leur liaison commence en octobre 2004. Le couple passe ses week-ends à une vingtaine de kilomètres de Mexico, au ranch de Las Chinitas, une propriété dont le porche est orné d'une tête de buffle. Des voitures occupent le jardin, et, apparemment, Israel en vit: il les achète, les répare, les revend. Après quelques mois, Florence le trouve "trop mexicain, trop amoureux, trop jaloux" et le quitte, mais continue de vivre chez lui, entre septembre et décembre 2005, le temps de trouver un studio.

A ce stade du récit, son poing se serre sur la nappe à carreaux de la prison. Sa voix ne tremble pas: "Je ne savais rien, sinon je l'aurais dénoncé!" Florence boit son café, puis croque un chocolat. Ça la change des escalopes de poulet que lui cuisine, contre quelques pesos, une copine détenue. Au début, à Tepepan, les filles lui battaient froid, elles l'avaient toutes vue à la télé, la "diabolique sanguinaire", tomber avec son homme, le chef "del Zodiaco". Leur arrestation avait excité les médias, à la fin de 2005...

Le 8 décembre 2005 au matin, Florence grignote ses tacos dans une gargote au bord de la route de Cuernavaca qui mène au ranch. Elle a enfin trouvé un appartement près de l'hôtel de luxe où elle a décroché un job et doit récupérer ses meubles chez son ex. Voilà la Volvo d'Israel. Elle grimpe. A peine le temps de rouler, un barrage les arrête. Des hommes armés de la police d'élite, l'Agence fédérale d'investigation (Afi), font irruption: "Vos papiers!" On leur enfile des cagoules, on les pousse dans un fourgon. Mais les fédéraux la rassurent: c'est Israel qu'ils veulent, ils le surveillent depuis six mois. D'après eux, elle n'est que simple témoin.

La journée passe sans que ni l'un ni l'autre ne soit présenté au ministère public, ce qui constitue une infraction au regard de la Constitution mexicaine. Et puis, au bout de la nuit, on les conduit au ranch, on les installe à même le sol. Des couvertures cachent leurs menottes, comme pour une mise en scène. Soudain, la police enfonce les portes devant les caméras des chaînes TV Azteca et Televisa. Dans le halo des projecteurs apparaît alors un garçon de 10 ans, Cristian, agenouillé aux côtés de sa mère et d'Ezequiel, un jeune homme de 21 ans. Les trois kidnappés. D'après la police, ils étaient retenus depuis cinquante-deux jours. L'air hagard, Florence Cassez bredouille: "Non, je ne savais pas..."

Le rapt était la spécialité d'Israel

Elle a pourtant vécu chez celui que la police présente comme un grand délinquant proche des bandes mafieuses. Les coups de fil en pleine nuit, les absences répétées, l'argent qui rentre tout seul, tout ça ne l'a jamais alertée? Le rapt, c'était, selon les enquêteurs, la spécialité d'Israel: il aurait participé à une dizaine de secuestros d'hommes d'affaires et de fils à papa, libérés contre 1 million de pesos (61 000 euros). A tous ceux qui se demandent, qui lui demandent: "Comment n'avez-vous rien vu de ses activités criminelles?", Florence rétorque: "Il travaillait tout le temps à l'extérieur, moi j'avais des horaires chargés. Et puis, elles existaient ces voitures, je les ai vues! Il me disait aussi qu'il partait voir ses enfants, je l'ai cru. Les otages, eux, étaient sûrement cachés dans d'autres maisons."

Devant les agents de l'AFI, ces derniers ont eux-mêmes évoqué plusieurs endroits de détention. Aujourd'hui, le ranch semble inhabité. Des herbes couvrent la croix en pierre dans le jardin. A quelques kilomètres de là se tient le restaurant où la Française mangeait souvent des quesillos. La cuisinière, Alma, et son mari, Angel, répètent à L'Express ce qu'ils ont confié aux enquêteurs. Qu'ils avaient la clef du ranch. Qu'Angel aidait parfois Israel. Mais qu'ils n'ont jamais vu quiconque dans la cabane du jardin où la police affirme avoir retrouvé les trois séquestrés. "La veille de l'arrestation, témoigne Angel, on avait mis des gravats dans cette cabane. Il y avait juste les bières et la tondeuse. Rien d'autre!"

Les parents de la jeune femme n'ont jamais douté de son innocence. Sa mère, frêle silhouette au regard usé, est venue de France la voir quinze jours, fin octobre. Ce jeudi-là, Florence lui a préparé du flan au citron. Elles s'embrassent. Sa fille, qui n'a jamais passé son bac, lui tend fièrement un diplôme: "T'as vu, j'ai gagné le concours de rami!" Elles parlent de la maison familiale de Malo-les-Bains, près de Dunkerque, que Florence n'a jamais vue, évitent surtout de triturer le passé. "Au début, on s'est dit: 'C'est tellement énorme, ils vont la faire sortir', confie Charlotte Cassez. Puis la sentence est tombée, quatre-vingt-seize ans, et notre vie s'est arrêtée.'

Durant ses trois longs mois de garde à vue, Florence n'a pas craqué, malgré la cellule sans fenêtre, d'où elle ne pouvait sortir qu'une dizaine de minutes, la nuit, pour fumer. De sa prison, elle a même réussi l'impossible: durant l'émission de télévision "Punto de partida", elle téléphone en direct à l'antenne. Alors que le secrétaire d'Etat Garcia Luna se félicite devant les caméras de la descente au ranch, elle lui lance: "Monsieur, vous mentez, j'ai été arrêtée la veille." Ce 11 février 2006, devant les téléspectateurs, Garcia Luna doit reconnaître la mise en scène et s'en excuser: "C'était une reconstitution pour les médias", explique-t-il, en ajoutant que cela ne change en rien le fond de l'affaire. Mais le ministre n'oubliera pas le nom de cette Française, Florence Cassez.

Dès lors, tout change. Le dossier, subitement, s'alourdit: les deux otages, Cristian et sa mère, qui disaient jusque-là ne pas la reconnaître, identifient désormais cette fille aux "cheveux jaunes et aux mains très blanches". Sauf qu'elle n'a jamais été blonde, et que sa peau est constellée de taches de rousseur... Mais la juge ne voit là aucune contradiction. Le troisième otage, Ezequiel, montre sa cicatrice durant le procès, et prétend que la "sorcière" lui aurait fait une piqûre au doigt en menaçant de l'amputer: "Cadeau pour ton papa", lui aurait-elle soufflé. Or, selon l'expert, il s'agit d'une tache de naissance. "Toute l'enquête s'est construite sur un mensonge, ma cliente a d'abord été condamnée au journal télé, ensuite il a fallu fabriquer sa culpabilité", souligne Me Agustin Acosta, son avocat mexicain.

Florence Cassez est-elle la victime collatérale d'une vengeance? C'est en tout cas ce que suppose son frère, aujourd'hui rentré en France. Il explique avoir été l'associé, au Mexique, d'un homme d'affaires très influent avec lequel il s'est brouillé. Ce dernier pourrait s'être servi de Florence pour régler ses comptes. Reste que, à ce jour, ces interrogations n'ont pas suffi à disculper la jeune femme.

Dans leur maison silencieuse de Malo-les-Bains, ses parents dorment avec le téléphone sur la table de nuit. En bas de l'escalier trône le portait d'une gamine qui sourit à la vie, une dent de lait en moins. "Notre fille est à bout, il faut qu'elle soit libérée", souffle Bernard Cassez, regard pudique et cheveux blancs. De l'autre côté de l'Atlantique, la prisonnière de Tepepan veut garder l'espoir. Elle écoute le disque de Carla Bruni, à laquelle elle a écrit une lettre. Elle tue le temps en fabriquant des colliers de perles et en répondant au courrier de soutien. Elle n'envisage pas de purger sa peine en France, comme l'y autoriserait une convention entre les deux pays: "J'ai commis des erreurs de naïveté, pas un crime! J'ai besoin d'être blanchie."

Le soleil se couche sur le terrain de basket où des filles dansent la salsa. Il est presque 17 heures. Le musicien remballe sa stéréo. Florence fume une cigarette. Elle dit qu'elle va se reposer, puis ranger sa chambre. Et vérifier, une fois de plus, que ses affaires sont prêtes.

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