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La guérilla colombienne libère son dernier otage politique

L'ex-député Sigifredo Lopez, relâché par les FARC, témoigne du massacre de douze otages et critique la stratégie sécuritaire du président Uribe

Par Marie Delcas

Publié le 06 février 2009 à 13h52, modifié le 06 février 2009 à 13h52

Temps de Lecture 4 min.

Douze familles attendaient Sigifredo Lopez sur le tarmac de l'aéroport de Cali, jeudi 5 février : la sienne et celles de ses onze collègues massacrés en captivité. Sixième otage colombien libéré cette semaine, Sigifredo Lopez est également un rescapé. Et un témoin très attendu. Pourquoi et comment les autres députés régionaux, enlevés avec lui, ont-ils été assassinés ? Pourquoi Sigifredo a-t-il survécu et a-t-il été libéré ?

A 14 h 02, M. Lopez est descendu de l'hélicoptère brésilien aux couleurs de la Croix -Rouge internationale, après six ans et dix mois aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Comme les quatre militaires libérés dimanche et comme l'ex-gouverneur Alan Jara, relâché mardi, Sigifredo a été remis à une commission humanitaire. Le gouvernement colombien avait ordonné à l'armée de cesser toute opération dans la région pendant trente-six heures. "L'hélicoptère n'a pas pu atterrir. La jungle était trop dense et la topographie compliquée. Nous avons dû sauter au sol", a raconté la sénatrice Piedad Cordoba, figure visible du mouvement Colombiens pour la paix, récemment créé, qui a joué les médiateurs. Les premières larmes de Sigifredo Lopez ont été pour ses deux fils et sa femme, Patricia, qu'il a longuement embrassés. Puis, en silence, il a serré dans ses bras les enfants et les femmes de ceux qui ne sont pas revenus.

Le 11 avril 2002, simulant une alerte à la bombe, des guérilleros déguisés en policiers font évacuer les locaux de l'Assemblée régionale, à Cali. Douze élus montent docilement dans le bus qui allait les embarquer pour la jungle. "Je reviens de l'enfer", rappellera M. Lopez au cours de sa conférence de presse.

Cinq ans plus tard, un communiqué laconique de la guérilla annonce que onze députés sont morts. Ils auraient été victimes de "tirs croisés" lors d'un affrontement avec un " groupe armé non identifié". Le gouvernement colombien a toujours contesté cette version. Sigifredo Lopez lui a donné raison : "Les FARC ont assassiné les députés", a-t-il martelé. C'était le 18 juin 2007.

Pour avoir été insolent avec un de ses geôliers, Sigifredo était ce jour-là puni, isolé de ses camarades et enchaîné à un arbre. Deux coups de fusils éclatent, puis des rafales de mitraillettes. Les tirs ne durent pas dix minutes. Sigifredo n'a rien vu. Il a juste entendu le chef hurler : "Ne les laissez pas partir !" Il apprendra dix jours plus tard la mort de tous ses camarades - "mes amis, mes frères", répète-t-il - et la terrible "méprise" dont ils ont été victimes. Un détachement de guérilleros s'est par mégarde approché du camp où les otages étaient détenus. Les guérilleros qui les gardaient ont cru à un raid de l'armée. Ils ont exécuté leurs otages. C'était la consigne.

Comme Alan Jara, Sigifredo Lopez a supplié le président Alvaro Uribe d'engager des pourparlers avec la guérilla pour faire libérer les derniers otages et éviter qu'un tel drame ne se reproduise. A la différence de la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt (spectaculairement récupérée par l'armée le 2 juillet 2008), les deux hommes se sont montrés très critiques envers M. Uribe et sa stratégie sécuritaire. "Un raid militaire est un arrêt de mort pour les otages", ont-ils répété. Mais, partisan de la manière forte, le chef de l'Etat se montre d'autant plus rétif à négocier avec les "narcoterroristes" des FARC qu'il les juge en complète débandade. Aux yeux du gouvernement, la libération sans contrepartie de six otages est un signe de plus de la faiblesse de la guérilla.

Alan Jara et Sigifredo Lopez étaient les deux derniers otages politiques aux mains des FARC qui détiennent encore 22 militaires capturés au combat. Certains sont dans la jungle depuis plus de dix ans. Les FARC prétendent les utiliser comme monnaie d'échange contre la libération de 500 guérilleros incarcérés.

"La libération de Jara et de Lopez est un constat d'échec pour les FARC, contraintes d'admettre aujourd'hui que séquestrer des politiques n'a servi à rien, juge l'analyste Alfredo Rangel. Pire, les otages civils ont contribué à discréditer définitivement les FARC sur la scène internationale." Il n'est pas exclu que la libération des otages obéisse aussi à des impératifs militaires : acculée par l'armée, la guérilla doit, pour redevenir très mobile, se débarrasser des "boulets" que sont les otages.

"En libérant les civils, les FARC ouvrent la voie à la négociation d'un échange de prisonniers, conforme au droit international humanitaire", souligne Alvaro Villaraga, avocat défenseur des droits de l'homme. Les Colombiens pour la paix les plus optimistes veulent croire qu'une telle négociation pourrait déboucher sur un processus de paix. Selon le sociologue Alejo Vargas, le contexte international s'y prête, "avec l'arrivée à la Maison Blanche d'un président moins guerrier que son prédécesseur ; la pression positive exercée par les gouvernements latino-américains de gauche - à commencer par le Brésil - et la mobilisation de la société civile colombienne en faveur de la paix".

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Mais l'optimisme reste mesuré. "Affaiblis militairement, les guérilleros des FARC tentent de récupérer un espace politique, juge la politologue Maria Cristina Delatorre. Tactiquement, ils jouent de la libération des otages pour faire miroiter la possibilité d'un accord de paix. Mais les FARC n'ont pas abandonné et ne sont pas près d'abandonner le dogme de la lutte armée." Ni, semble-t-il, la prise d'otages civils à des fins économiques.

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